Le point de vue de l’endodontiste dans le diagnostic et le plan de traitement des lésions endo-parodontales

Le diagnostic des lésions endo-parodontales (LEP) est complexe. Chacune des composantes primaires peut imiter les caractéristiques cliniques de l’autre. Cet article vise à fournir des lignes directrices pour un diagnostic précis, permettant d’envisager une stratégie thérapeutique adaptée.

Étiologies et classification des lésions endo-parodontales

La complexité des LEP reflète l’étroite relation entre le parodonte et le système endodontique. En effet, l’endodonte et le parodonte présentent des similitudes sur les plans embryologique, anatomique et fonctionnel [1]. Si l’étiologie et la physiopathologie des lésions endo-parodontales sont connues et bien décrites à l’heure actuelle, l’influence que peuvent exercer les différentes pathologies endodontiques et parodontales les unes sur les autres est encore une source de controverse.

Le passage des produits de la dégénérescence pulpaire et des toxines bactériennes vers le parodonte dans la région apicale entraîne une lésion périapicale. Si cela se produit avec une extension crestale de l’inflammation, une parodontite rétrograde se forme. Cependant, la lésion formée a peu de similitudes anatomiques avec un défaut induit parodontalement.

La situation réciproque, une contamination pulpaire par voie parodontale, est théoriquement possible, mais beaucoup plus sujette à débat. La contamination de la pulpe par voie parodontale « rétrograde » est considérée comme exceptionnelle. Il a été démontré que tant que le foramen apical n’est pas atteint, seules des modifications mineures peuvent intervenir [2, 3]. Parmi ces modifications, on retrouvera au niveau pulpaire des altérations inflammatoires et des infiltrats inflammatoires localisés. Sur le plan clinique, une racine concernée par une poche parodontale profonde pourra présenter un rétrécissement canalaire qui sera lié à la formation de dentine tertiaire liée à ces stimuli inflammatoires (fig. 1).

Plusieurs voies de communication physiologiques ou iatrogéniques peuvent expliquer l’apparition de LEP. La principale voie de communication physiologique se situe au niveau du foramen apical où le parodonte rejoint l’endodonte. Cependant, il existe de nombreux canaux latéraux (30 à 40 % des dents ont des canaux latéraux), accessoires (75 % de ces canaux accessoires se situent dans le tiers apical), formant un réseau secondaire (fig. 2). Il existe d’autres voies de communication ayant un diamètre inférieur tels que les tubuli dentinaires ou les canaux pulpo-parondontaux situés au niveau des zones de furcation des dents pluriradiculées.

Il existe également une entité anatomique appelée « sillon palato-gingival » qui se présente comme un puits palatin au niveau des incisives maxillaires. Ces sillons correspondraient à une tentative avortée de formation d’une racine supplémentaire.

Si ces sillons sont profonds, alors une communication entre la pulpe et une poche parodontale est possible et peut, par conséquent, être à l’origine d’une lésion endo-parodontale [4] (fig. 3).

D’autres situations pathologiques ou liées à un acte iatrogénique entraînent des communications endo-parodontales. Les résorptions radiculaires, lorsqu’elles sont importantes, sont susceptibles de créer une communication entre l’endodonte et le parodonte. Les résorptions internes ont un point de départ pulpaire et peuvent devenir perforantes et communiquer avec le parodonte. À l’inverse, il existe des résorptions externes situées au niveau radiculaire qui vont détruire la racine par l’extérieur du fait d’un mouvement centripète et progresser en direction pulpaire. Dans les phases initiales, les résorptions externes respectent le canal pulpaire. Cependant, dans le cas de formes avancées, il peut s’établir une communication endo-parodontale.

Les fractures radiculaires et les perforations constituent également des voies de communication privilégiées pour la flore bactérienne (fig. 4).

Les études récentes montrent que la microbiologie des lésions endo-parodontales (bactéries, champignons, virus, levures) reflète celle des lésions endodontiques d’une part et parodontales d’autre part. Par conséquent, le profil microbiologique des lésions endo-parodontales n’est pas spécifique et il n’y a pas de thérapeutique ciblant en particulier une espèce bactérienne [5].

Le World Workshop de 2017, organisé conjointement par l’American Academy of Periodontology et la Fédération européenne de parodontologie, a élaboré une classification des maladies et des conditions parodontales et péri-implantaires [6]. L’intérêt de cette dernière classification est de tenir compte de trois niveaux de réflexion : l’intégrité radiculaire, la présence d’un contexte global de maladie parodontale et la sévérité de l’atteinte parodontale de la LEP (tableau 1).

Diagnostic des lésions endo-parodontales

La difficulté du diagnostic est de pouvoir déterminer la présence réelle d’une LEP et également d’évaluer avec précision la contribution des lésions endodontiques et parodontales. Il est crucial d’établir un diagnostic différentiel entre une origine pulpaire pure et une origine parodontale pure. Dans les autres situations, il n’y a pas de démarcation évidente entre les deux lésions, qui semblent former une seule entité, à la fois sur les radiographies et cliniquement. Dans le diagnostic des lésions osseuses radiographiques, le clinicien doit résister à la tentation d’étiqueter tout comme une « lésion mixte ». Le tableau 2 résume le diagnostic différentiel entre les lésions pulpaires et parodontales. L’objectif du diagnostic est de ne pas retarder la cicatrisation, ni de compromettre la guérison en n’utilisant pas une thérapeutique adaptée.

Le diagnostic des LEP débute, comme tout diagnostic, par l’entretien avec le patient afin de noter tous les éléments pertinents de l’anamnèse tels que l’état général du patient, les antécédents de parodontite et les traitements dentaires.

Une fois la dent située, l’examen clinique aura pour but de déterminer l’état de santé pulpaire et périapical d’une part, et l’état de santé parodontal d’autre part. Pour cela, les tests classiques de sensibilité pulpaire sont réalisés et le sondage parodontal associé à un examen radiologique rétroalvéloaire 2D est primordial afin d’obtenir une cartographie tridimensionnelle du rebord alvéolaire osseux. Dans certaines situations où l’anatomie endodontique et/ou parodontale doit être appréhendée de manière plus fine, une radiographie tridimensionnelle de type cone beam (CBCT) pourra être réalisée.

Les fractures radiculaires, surtout les fractures radiculaires verticales, posent des problèmes particuliers dans le diagnostic. Les symptômes et signes associés aux fractures radiculaires verticales présentent un caractère variable et sont difficiles à distinguer de ceux associés aux lésions parodontales et endodontiques. De plus, la dégradation peut se manifester sur les radiographies de plusieurs manières différentes : de l’absence à une zone de perte osseuse verticale rapide. Les radiographies 2D avec différentes angulations sont très utiles : une légère modification de l’angle peut révéler une fracture dentaire ou une implication de la furcation parodontale. Parfois, le diagnostic définitif des fractures radiculaires verticales doit être confirmé par une exposition chirurgicale exploratoire de la racine pour un examen visuel direct (fig. 5). Une étude clinique sur les dents fracturées révèle également que les fractures sont plus courantes sur les dents avec des restaurations étendues, chez les patients plus âgés et dans les dents postérieures mandibulaires [7]. Le pronostic pour les dents avec des fractures radiculaires verticales qui présentent une perte d’attache est généralement sans espoir en raison de l’invasion bactérienne continue de l’espace de fracture à partir de l’environnement oral.

Le diagnostic des autres situations avec perte d’intégrité de la racine (perforations et résorptions) a pour objectif d’évaluer la faisabilité d’un traitement, la nécessité d’un plateau technique et de compétences avancées, et le pronostic d’un éventuel traitement. Pour cela, une appréciation tridimensionnelle du défaut et des conséquences osseuses à l’aide d’un CBCT est indispensable (fig. 6).

Lésions endo-parodontales et plan de traitement

En cas de lésion endodontique avec une extériorisation parodontale (exemple : fistule au niveau cervical), le traitement endodontique seul doit permettre la guérison et donc la disparition rapide de la fistule au niveau du parodonte marginal. Il est important de noter que, dans ces situations, la perte d’attache liée à la fistule est simple et étroite (fig. 7).

En cas de lésions parodontales n’ayant pas eu de conséquence pulpaire et/ou péri-apicale, le traitement parodontal s’impose. Il est important de monitorer régulièrement le statut pulpaire à l’aide des examens de sensibilité pulpaire. Une évolution négative associée à l’apparition d’une symptomatologie clinique entraîne la réalisation du traitement endodontique. L’évaluation de la situation est plus compliquée lorsque les dents présentent déjà un traitement endodontique. En fonction de la qualité du traitement endodontique, de l’importance stratégique de la dent et du projet prothétique, un retraitement endodontique peut être envisagé.

Si une dent présente une lésion parodontale qui englobe entièrement l’apex de la dent, un traitement endodontique préventif peut être indiqué car le risque de contamination de l’endodonte est réel. Enfin, si une dent pulpée présente une suspicion de nécrose partielle (difficulté diagnostique, dents pluriradiculées), il est judicieux de débuter le traitement par la thérapeutique parodontale, la sensibilité pulpaire est évaluée au moment de la réévaluation (à 3 mois) et comparée avec la situation initiale. Les tests électriques sont particulièrement intéressants dans ces situations. En cas d’évolution négative, le traitement endodontique est alors entrepris.

Pour les dents présentant une atteinte de l’intégrité radiculaire, la difficulté est d’envisager le pronostic et la survie à long terme de la dent après la thérapeutique envisagée. Il ne s’agit pas seulement de « gérer » le problème radiculaire, mais également de pouvoir permettre une restauration fonctionnelle à long terme. Il existe néanmoins des situations exceptionnelles où l’objectif du traitement endodontique est de faire cicatriser une lésion afin de garantir un capital osseux pour une future solution implantaire. Une fracture radiculaire est généralement synonyme d’extraction, sauf éventuellement les fractures horizontales sans communication avec le sulcus où l’on pourra envisager de traiter la portion coronaire de la racine (situation rencontrée en traumatologie dentaire).

Le traitement des perforations dépend de la localisation, de la taille et de l’ancienneté. Les perforations supra-crestales peuvent être obturées à l’aide d’un ciment verre-ionomère ou d’un ciment hydraulique silicate de calcium. Un accès chirurgical est souvent nécessaire afin de garantir la mise en place et le polissage du matériau. Les perforations infra-crestales sont le plus souvent obturées à l’aide de ciment hydraulique silicate de calcium (CHSC) (BiodentineTM, MTA, et autres biocéramiques). En fonction de la difficulté d’accès visuel et instrumental, ce ciment pourra être utilisé sous différentes consistances (traditionnelle, putty ou sous forme de ciment endodontique). Au niveau du traitement endodontique, il faudra s’assurer du repérage des entrées canalaires et veiller à ne pas le compromettre (un cône de gutta percha peut être utilisé pour protéger le canal et permettre de positionner correctement les ciments HSC) [8]. L’étiologie des lésions parodontales dans ces situations est d’origine endodontique, il n’y a pas lieu de réaliser un traitement parodontal chirurgical (fig. 8).

Pour les cas de résorptions, en fonction de la situation, un accès chirurgical pourra être nécessaire (fig. 9). Les résorptions inflammatoires avec un contact direct entre la pulpe infectée et le ligament parodontal nécessitent un traitement endodontique avec une irrigation abondante à l’hypochlorite de sodium agité (sonique ou ultrasonique), une interséance à l’hydroxyde de calcium. En revanche, il est possible de conserver la vitalité pulpaire dans le cas de résorption cervicale invasive si l’atteinte n’est pas trop importante. Il persiste en général dans ces situations une couche de dentine péricanalaire (fig. 10).

Les situations de vraies lésions endo-parodontales chez des patients atteints de parodontite font l’objet de compétences et de plateaux techniques plus développés, que ce soit en endodontie ou en parodontologie. La règle est de démarrer par le traitement ou le retraitement endodontique afin d’optimiser les chances de guérison parodontale. Ce traitement endodontique est associé à un détartrage peu profond et à un apprentissage des techniques de contrôle de plaque. Une réévaluation a lieu entre 3 et 6 mois (en fonction de l’évolution de la symptomatologie clinique et radiologique). Ensuite, en cas d’évolution favorable et après sondage parodontal, des thérapeutiques parodontales peuvent être envisagées (fig. 11).

Conclusion

Les lésions endo-parodontales sont liées aux nombreuses voies de communication anatomiques et pathologiques qui existent entre l’endodonte et le parodonte. La nouvelle classification des lésions endo-parodontales (Chicago 2017) a pour intérêt de relier l’historique de la maladie, le diagnostic endodontique et la sévérité de l’atteinte parodontale. Le succès de la thérapeutique est lié à la qualité du diagnostic et à l’atteinte parodontale associée.

 

Points essentiels

  • Les lésions endo-parodontales sont liées aux nombreuses voies de communication anatomiques et pathologiques qui existent entre l’endodonte et le parodonte.
  • Une nouvelle classification des lésions endo-parodontales (Chicago 2017) a pour intérêt de relier l’historique de la maladie, le diagnostic endodontique et la sévérité de l’atteinte parodontale.
  • Les situations des lésions endo-parodontales constituent de véritables pièges diagnostiques.
  • Le succès de la thérapeutique est lié à la qualité du diagnostic et à l’atteinte parodontale.
  • Dans les cas complexes, une interdisciplinarité est nécessaire.

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À propos de l'auteur

Dr Alexis GAUDIN
Docteur en chirurgie dentaire
  • MCU-PH Odontologie Conservatrice-Endodontie – UFR Odontologie Nantes
  • Member of the task force for French recommendation COVID-19: Implications for Dental Care
  • Vice-president of the French Society of Endodontics
  • International Association for Dental Research membership
                       
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Dernière mise à jour le 31 juillet 2024