Des tumeurs bénignes de la muqueuse buccale
Les tumeurs bénignes et les pseudo-tumeurs non épithéliales de la muqueuse buccale sont nombreuses mais de fréquence variable. Selon leur fréquence, on distingue :
- celles très fréquentes : le nodule d’hyperplasie fibro-épithéliale (NHFE), jadis diapneusie, les épulis et l’hyperplasie fibro-épithiale sous-prothétique ;
- celles fréquentes : le granulome à cellules géantes périphérique, la tumeur à cellules granuleuses (tumeur d’Abrikossoff), le lipome ;
- celles peu fréquentes : l’angioléiomyome, le schwannome, le neurofibrome, le névrome traumatique ;
- celles rares : le fibrome, le fibrome à fibroblastes géants, le myxome, la tumeur fibreuse solitaire, la fasciite nodulaire, le neurinome circonscrit solitaire ;
- celles très rares : le myofibrome, l’histiocytofibrome bénin, le fibrome scléreux (collagénome storiforme)…
Il est généralement facile de reconnaître un épulis ou un NHFE en raison de leur fréquence, de leur siège et de leur aspect. Toutefois, ce dernier peut avoir une localisation inhabituelle et le diagnostic clinique devient alors souvent difficile comme pour les autres tumeurs bénignes et les autres pseudo-tumeurs non épithéliales.
Motif de la consultation
Patient de 60 ans, qui a consulté sur les conseils de son médecin traitant pour une tumeur du plancher buccal.
Histoire de la maladie
Le patient reconnaissait que cette tumeur était présente depuis au moins 2 ans. Il l’avait découverte avec sa langue. Comme elle n’était ni douloureuse ni gênante, avant de signaler son existence à son médecin, il l’avait longtemps banalisée car elle n’augmentait pas de taille.
Interrogatoire
Le patient était en bonne santé et n’avait pas d’antécédents médico-chirurgicaux. Il n’avait jamais fumé et il avait une consommation d’alcool occasionnelle.
Examen clinique
Sur le plancher buccal antérieur droit, on observait une tumeur pédiculée, oblongue, de 9 x 5 x 4 mm, de consistance élastique. Elle implantait au centre du plancher du plancher buccal antérieur droit. Devant ce tableau clinique, il n’était guère possible d’évoquer un diagnostic.
Examens paracliniques
L’examen histopathologique de la pièce d’exérèse a montré qu’il s’agissait d’un nodule revêtu d’un épithélium malpighien, parakératinisé, mince, avec des crêtes épithéliales raccourcies, focalement absentes. Son centre était constitué par du tissu conjonctif fibreux dense, contenant des vaisseaux à paroi fine. On notait la présence en un point d’un petit amas de lymphocytes qui pénétraient les assises épithéliales profondes. Cet aspect était assez caractéristique d’un nodule d’hyperplasie fibro-épithélial de grande taille et de localisation inhabituelle.
Synthèse
• Le NODULE D’HYPERPLASIE FIBRO-EPITHELIALE (NHFE) représente la tumeur buccale la plus fréquente. Le NHFE était connu jadis sous le nom de diapneusie, terme dérivé du grec signifiant « aspiration à travers », car cette pseudo-tumeur était considérée comme secondaire à un tic d’aspiration à travers un espace dans l’arcade dentaire (diastème, extraction non compensée, malposition) ou à travers l’espace de repos entre les deux arcades dentaires ; dans ce cas, les lésions peuvent être multiples. Le NHFE siège alors en regard de cet espace qui modèle sa forme.
Quand il n’y a pas d’espace dans l’arcade dentaire, le rôle de l’aspiration n’apparaît pas toujours aussi évident. Comme le NHFE siège presque toujours sur la ligne occlusale, quelle que soit sa localisation (bords de la langue, lèvre inférieure, joues), les dents jouent très certainement un rôle direct dans le développement des NHFE. Le NHFE serait donc une lésion secondaire à une agression traumatique répétée, ce qui expliquerait d’éventuelles localisations hors de la ligne occlusale. On comprend mal ce qui peut favoriser le développement d’un NHFE en dehors de ces localisations habituelles. Le traitement est chirurgical mais le NHFE peut récidiver si le facteur ayant permis son développement persiste.
CAS 2 : Fibrome scléreux ou collagénome storiforme
Motif de la consultation
Patient de 53 ans, qui est venu consulter sur les conseils de son médecin traitant, pour une tumeur du plancher buccal.
Histoire de la maladie
Ce patient n’avait aucune notion de l’existence de cette tumeur qui a été révélée récemment par une douleur en rapport avec l’ulcération présente à sa surface.
Interrogatoire
Ce patient était un ancien alcoolique, sevré depuis 4 ans, qui souffrait de violentes migraines, traitées par divers médicaments et par l’oxygénothérapie. Il avait subi une thyroïdectomie pour un cancer de la thyroïde en 2004.
Examen clinique
Sur le plancher buccal antérieur droit, on observait une tumeur pédiculée, arrondie, de 12 mm de diamètre, s’implantant sur le versant droit du frein de la langue et l’ostium du canal de Warthon. Cette tumeur, de consistance ferme, comportait dans sa partie antérieure une ulcération superficielle, d’aspect chronique, probablement d’origine traumatique.
Examens paracliniques
Il s’agissait d’un nodule recouvert par un épithélium muqueux hyperplasique avec une ulcération superficielle. Le stroma comportait des remaniements fibreux importants, bien soulignés par la coloration de Miller : les fibres collagènes épaisses, à disposition irrégulière, associées à une prolifération de cellules rondes ou allongées, avaient superficiellement une architecture storiforme, avec de nombreux vaisseaux disposés en tous sens. En profondeur, il y avait une zone de tissu myxoïde très pauvre en cellules, bleu Alcian positive ; les importants dépôts de mucine étaient bien soulignés par la coloration au fer colloïdal. À l’immunohistochimie, on notait la présence d’assez nombreux histiocytes positifs pour le CD68 et le Facteur XIII ; l’AML soulignait les vaisseaux, le CD34 marquait le collagène et les vaisseaux.
Synthèse
• Cette tumeur du plancher buccal était constituée par un FIBROME SCLEREUX ou COLLAGENOME STORIFORME. Il s’agit d’une tumeur cutanéo-muqueuse bénigne, rare, qui touche les adultes jeunes ou d’âge moyen, un peu plus souvent les femmes. Le fibrome scléreux se traduit par une petite papule ou un nodule fibreux, bien limité, indolore, ayant une croissance lente. Il siège principalement sur le visage et les membres, parfois sur le thorax et le cuir chevelu, exceptionnellement sur la muqueuse buccale et le lit unguéal. Sa description princeps a été réalisée par Weary et al. en 1972, à partir d’une tumeur linguale chez un sujet atteint d’un syndrome de Cowden. Dans ce syndrome, les fibromes scléreux sont habituellement multiples, alors qu’en dehors de ce syndrome, ils sont isolés. Cette tumeur est due à une prolifération de fibroblastes qui synthétisent de façon excessive du collagène de type I.
Les fibres de collagène sont épaisses, vitreuses et alignées en faisceaux parallèles selon une architecture storiforme. La coloration par le bleu Alcian met en évidence une zone de tissu myxoïde pauvre en cellules. Le traitement est chirurgical. Chez ce patient, bien que le fibrome scléreux soit unique, on observait d’autres éléments caractéristiques d’un syndrome de Cowden méconnu : nombreuses papules fibreuses sur les gencives, de petite taille, à la limite de la visibilité, cancer de la thyroïde, céphalées en rapport avec une maladie de Lhermitte-Duclos.
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Pathologies de la muqueuse orale
À propos des auteurs
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Pathologies de la muqueuse
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Dernière mise à jour le 13 février 2024