Collage d’urgence : gestion d’un trauma chez l’enfant
Les fractures par traumatisme sont des situations extrêmement fréquentes et touchent essentiellement les jeunes patients, encore en phase de maturation dentaire. Face à cette situation, le challenge est double : restaurer la dent traumatisée tout en veillant à son correct développement. Le collage de fragments est une approche conservatrice qui répond à ces objectifs, esthétiques et physiologiques.
Objectifs thérapeutiques
Éric (8 ans) se présente en urgence une heure après une chute dans la cour de l’école. L’examen clinique n’objective aucune lésion en dehors d’une fracture coronaire nette de la 11 sans exposition pulpaire (fig. 1). À l’examen radiologique, nous pouvons voir que sa racine n’est pas totalement édifiée (fig. 2).
La conservation du fragment a été faite dans du lait. Le lait est le milieu le plus favorable devant l’eau, une solution saline ou encore un milieu sec. En effet, la conservation en milieu sec entraîne la rétraction des fibres de collagène et donc une force de rétention plus faible. En plus d’une meilleure résistance à la rupture post-collage, le lait évite la déshydratation du fragment et lui offre d’ores et déjà un meilleur pronostic [1].
Il semble que les traumatismes dentaires constituent un problème important et relativement courant chez les jeunes enfants et adolescents. Ils surviennent généralement pendant les phases de croissance et de développement des individus et peuvent donc compliquer leur prise en charge clinique. Par ailleurs, la fracture coronaire simple, autrement dit sans exposition pulpaire, de l’incisive centrale maxillaire est le traumatisme le plus fréquent [2, 3].
Nos objectifs thérapeutiques sont clairs :
– restaurer l’esthétique et la fonction de l’incisive maxillaire permanente du patient ;
– conserver la vitalité pulpaire pour que l’apexogenèse se poursuive et s’achève.
Des études récentes avancent que le rattachement de fragments peut être considéré comme une option de traitement valable pour les fractures coronaires des dents antérieures [4, 5]. Cette approche semble être une alternative fiable aux restaurations en résine composite conventionnelle ; en plus de sa simplicité de mise en œuvre et à l’ère d’une dentisterie mini-invasive, elle apparaît comme le choix thérapeutique le plus conservateur.
Séquences cliniques
Avant tout geste clinique, le fragment de la 11 est immergé dans du liquide physiologique.
Après avoir anesthésié la zone traumatisée, la première étape est la mise en place du champ opératoire. Non sans difficulté chez l’adulte, elle est très délicate chez l’enfant [6]. La rapidité et l’efficacité des gestes du praticien conditionnent la coopération et l’acceptation du jeune patient. L’étanchéité obtenue n’est pas toujours idéale et des spécificités liées à l’enfant compliquent sa mise en place, comme ici des dents en cours d’éruption ou des diastèmes interdentaires (fig. 3). Nous avons choisi d’utiliser des cordons élastiques de stabilisation entre les canines et les premières molaires temporaires comme alternative aux crampons, souvent moins bien tolérés.
Après un nettoyage minutieux des surfaces dentaires, la deuxième étape consiste en la préparation de la dent fracturée consécutivement à celle du fragment à replacer. Une légère rainure est réalisée sur la surface centrale du fragment afin de créer un réservoir au matériau d’assemblage, évitant alors une surépaisseur de joint. En plus d’un rôle rétentif, elle laisse apparaître une plus large plage d’émail sur ses bords qui potentialiseront l’adhésion (fig. 4a).
L’étape de mordançage des deux surfaces à coller (fig. 4b),
(fig. 5a) diffère des protocoles de référence par son temps d’application. En effet, nous choisissons ici de potentialiser l’action de l’acide orthophosphorique en le frottant énergiquement à l’aide d’une microbrush. L’effet mordançant étant plus rapide, le temps d’application est alors diminué [7].
Après un rinçage abondant et un séchage doux, l’adhésif (Futurabond® M+, Voco) est à son tour frotté énergiquement sur les deux surfaces pour être photopolymérisé selon les conseils du fabricant pendant 10 secondes (fig. 4c) et (fig. 5b).
S’ensuivent l’application du matériau d’assemblage (fig. 6) (Grandio®SO Heavy Flow, Voco) et le collage du fragment. La littérature rapporte plusieurs stratégies pour la fixation de fragments de dents après une fracture. Selon les preuves de nombreuses études, une augmentation de la force de liaison a été observée lorsqu’un matériau intermédiaire était utilisé. Par ailleurs, il a été démontré que l’utilisation d’un système adhésif associé à un composite intermédiaire avec de bonnes propriétés mécaniques pouvait restaurer une partie de la résistance de la dent fracturée [4, 5, 8].
Après apposition du fragment et son maintien efficace, les excès de composite fluide sont retirés à l’aide d’une microbrush afin de ne pas déchirer le joint et éviter la création de hiatus. Une photopolymérisation en deux temps (20 secondes par face) et une étape de finition et polissage finalisent la thérapeutique (fig. 7) et (fig. 8a).
À la fin de la consultation, un certificat médical initial est réalisé et remis en main propre à la mère.
À deux mois, la situation clinique est stable et le test de sensibilité pulpaire apparaît positif.
À un an, les résultats sont les mêmes. Le joint de collage est à peine discernable et la réhydratation du fragment offre un résultat esthétique plus que satisfaisant (fig. 8b).
Le contrôle radiologique révèle une racine plus mature ; la conservation de la vitalité pulpaire a permis une apposition odontoblastique correcte et donc l’augmentation de l’épaisseur des parois radiculaires, l’allongement et la fermeture physiologique de la racine (fig. 2).
Conclusion
Le développement de la dentisterie adhésive a permis d’améliorer les approches peu invasives, intégrant de ce fait des aspects esthétiques et fonctionnels, offrant bon nombre d’intérêts supplémentaires au patient et au clinicien [7, 8].
Le collage de fragments est une procédure qui offre des avantages, tels que la préservation de la structure de la dent et le maintien de la couleur, de la forme et de la translucidité de la dent d’origine. En plus de réduire les délais de soins cliniques, cette approche permet de remplir nos objectifs esthétiques et physiologiques ; elle restaure l’esthétique du sourire en utilisant une procédure extrêmement conservatrice et permet, comme ici, le bon déroulement de la maturation dentaire.
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Bibliographie
- Shirani F, Malekipour MR, Tahririan D, Sakhaei Manesh V. Effect of storage environment on the bond strength of reattachment of crown fragments to fractured teeth. J Conserv Dent 2011 ; 14 (3) : 269-72.
- Glendor U. Epidemiology of traumatic dental injuries-a 12-year review of the literature. Dent Traumatol 2008 ; 24 : 603-11.
- Andreasen JO, Ravn JJ. Epidemiology of traumatic dental injuries to primary and permanent teeth in a Danish population sample. Int J Oral Surg 1972 ; 1 (5) : 235-9.
- Garcia FCP, Poubel DLN, Almeida JCF, Toledo IP, Poi WR et al. Tooth fragment reattachment techniques-A systematic review. Dent Traumatol. 2018 ; 34 (3) : 135 43.
- de Sousa APBR, França K, de Lucas Rezende LVM, et al. In vitro tooth reattachment techniques : A systematic review. Dent Traumatol 2018 ; 34 : 297-10.
- Wang Y, Li C, Yuan H et al. Rubber dam isolation for restorative treatment in dental patients. Cochrane Database Syst Rev. 9 (2016).
- Etienne O, Anckenmann L. Restaurations esthétiques en céramique collée. EditionsCdP. 2017. Chapitre 2 : Dent et collage ; p. 44-49.
- Singhal R, Pathak A. Comparison of the fracture resistance of reattached incisor tooth fragments using 4 different materials. J Indian Soc Pedod Prev Dent 2012 ; 30 : 310.
À propos des auteurs
Dr Léa MASSÉ
-
Traumas chez l'enfant
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Dernière mise à jour le 13 février 2024