Prothèse amovible complète : toutes les clés pour qu’elle soit un succès

Auteur : Aude Ménard

Source : Atelier DPC de la JIP 2024 animé par le Dr Maxime Helfer

Réussir une prothèse amovible complète relève toujours du défi. Selon l’étude de Sato et al. [1], il existe 16 facteurs permettant d’évaluer son succès. De la stabilité des bases à l’agencement des dents, tous ont une implication clinique notable. Chaque séance a son importance et le binôme dentiste-prothésiste doit alors travailler main dans la main afin de valider ensemble les différentes étapes du traitement prothétique.

Étapes préprothétiques

Souvent négligée, la séance préprothétique est pourtant une séance clé qui, par le recueil des données cliniques, va permettre d’appréhender au mieux les différentes difficultés.

Dès cette séance, certains points vont conditionner la réussite de la prothèse. On note alors  :

  • La communication : essentielle afin de cerner les attentes et les éventuelles inquiétudes du patient. Prendre le temps de répondre aux questions, et cela d’autant plus chez les patients qui vont passer à l’édentement complet. En tant que professionnel, il est important d’identifier également et de se méfier des patients dits « multi consommateurs », chez qui plusieurs prothèses ont déjà été réalisées sans succès, et des patients « forcés » par l’entourage. Sommes-nous capables de répondre à leurs attentes ?
  • Le terrain : pas de prothèse sur un terrain non préparé. L’examen clinique se fait à l’échelle du visage (soutien des tissus, de face et de profil) puis au niveau buccal. À ce stade, des régularisations de crêtes osseuses peuvent être indiquées. Dans le cas d’une gestion de tissus mous, cela peut passer par de la chirurgie et/ou par une mise en condition tissulaire avec une résine souple.
  • Les anciennes prothèses : il est intéressant, lors de cette séance, de bien les examiner afin d’avoir des indications sur l’entretien et éventuellement sur les données esthétiques et occlusales.
  • La salive : élément clé dans la rétention des prothèses amovibles complètes par son rôle dans l’obtention d’un joint. Si besoin, des substituts locaux existent.
  • Les nausées : risque d’échecs importants, en cas de réflexes nauséeux, il faut rassurer et ne pas hésiter à prémédiquer.
    Enfin, à cette première séance peut s’adjoindre des examens complémentaires de type panoramique dentaire. Elle permet notamment de visualiser le nerf alvéolaire inférieur (figure 1) ou d’identifier des dents incluses/débris radiculaires. De même, l’apport de la photographie et de la vidéo est intéressant dans l’analyse et dans la communication avec le laboratoire de prothèse.

Empreintes primaires

Les empreintes primaires doivent être mucostatiques, non compressives et réalisées à l’aide d’un alginate à prise lente ou au plâtre. En plus d’aboutir à la réalisation d’un modèle primaire, elles se doivent d’enregistrer les caractéristiques morphologiques des surfaces d’appuis maxillaires et mandibulaires, c’est-à-dire les zones d’appuis primaires et secondaires ainsi que les zones à décharger (freins, brides, etc.).

Ce sont des empreintes qui serviront à la sustentation des prothèses ; il ne faut donc pas les négliger. Une empreinte secondaire n’est en effet pas faite pour corriger les erreurs d’une empreinte primaire ! Afin de respecter la physiologie des tissus, l’empreinte doit les enregistrer sans les déformer (lèvres et joues en position « normale »).

Lors de cette séance, la réalisation des empreintes peut se faire alors :

  • au plâtre : utilisation de porte-empreintes Cerpac qui sont pleins. L’avantage est qu’il est facile de les déformer. Le plâtre Snow White est utilisé, avec un rapport ½ liquide/poudre. Le plâtre est le matériau idéal, car il est mucostatique. Cependant, il convient de faire attention aux contre-dépouilles et aux réflexes nauséeux ;
  • à l’alginate : utilisation avec de l’adhésif des porte-empreintes Schreinemakers qui sont perforés. L’alginate est un matériau tout à fait convenable, mais qui engendre malgré tout systématiquement des surcontours. Il faut donc en prendre conscience et bien communiquer avec le laboratoire pour la réalisation du porte-empreinte individuel (PEI). Pour cela, ses limites doivent être tracées sur l’empreinte (figure 2).

Quel que soit le porte-empreinte, le choix de la taille doit se faire idéalement avec un compas à pointe sèche et ce dernier doit être essayé en amont de l’empreinte. À l’essayage, il doit être stable sur les surfaces d’appuis.

Le truc en plus : possibilité, lors de cette séance, d’utiliser un papillomètre (figure 3). Cet outil permet de communiquer au laboratoire la hauteur de la lèvre afin de prérégler la hauteur du bourrelet.

Au laboratoire, le prothésiste va ensuite réaliser le modèle issu de l’empreinte primaire. Le socle de ce dernier est orienté selon des critères invariables qui sont le plan HIP, ou plan de Cooperman-Willard correspondant aux indices anatomiques qui sont les ligaments ptérygo-maxillaires et la papille rétro-incisive. Ce sont deux éléments anatomiques qui ne subissent pas de résorption. L’orientation correcte du socle permet ensuite de réaliser des bourrelets déjà bien orientés. Le prothésiste fait alors un PEI qui servira lors de l’empreinte secondaire. Il ne doit pas avoir de manche, car celui-ci projetterait la lèvre en avant et fausserait donc son enregistrement. Des bourrelets sont en revanche montés sur les PEI car ils ont pour intérêt de préformer le volume des futures dents afin d’enregistrer les tissus mous dans une position physiologique.

 

Empreintes secondaires

L’empreinte secondaire a de multiples buts, comme celui d’enregistrer de manière très précise les reliefs morphologiques et les caractéristiques physiologiques de la surface d’appui. Elle permet également d’évaluer finement les volumes des zones de réflexion (ce qui permet la stabilisation) et d’assurer à la fois le joint périphérique et le libre jeu des organes paraprothétiques (ce qui permet la rétention). Enfin, le but ultime est d’obtenir le modèle définitif de travail avec des limites fonctionnelles, c’est-à-dire les limites exactes de la future prothèse. Il s’agit du modèle de travail définitif sur lequel la prothèse sera faite.

Lors de cette séance, toutes les zones en périphérie de la prothèse seront enregistrées de manière dynamique. Elle se réalise en plusieurs étapes : en premier lieu, le PEI est contrôlé et réglé (bords et bourrelet) puis le marginage des bords est réalisé, et enfin une empreinte dite de surfaçage est faite.

  • Réglage du PEI : il doit être stable sur le modèle et en bouche. En cas de surextension, un silicone light peut être utilisé afin de les visualiser. Enfin, le bourrelet qui préforme le volume des futures dents doit être réglé en hauteur et largeur.
  • Marginage : il peut être réalisé avec une pâte thermoplastique (par exemple, pâte de Kerr) ou avec des élastomères (silicones, polyéthers) (figure 4). Les tests de Herbst sont réalisés en travaillant soit de manière sectorielle (avec les pâtes thermoplastiques), soit en une seule fois (avec les élastomères). Dans ce dernier cas, l’ensemble des mouvements sont enchaînés plusieurs fois.

À noter que pour le secteur postérieur, il est important, durant l’examen clinique, d’évaluer la dépressibilité des zones de Schroeder. Si elles sont très dépressibles, on chargera plus en matériau.

  • Empreinte de surfaçage (figures 5 et 6) : dans le cas d’un marginage fait avec une pâte thermoplastique, l’empreinte peut être réalisée avec un polysulfure ou un eugénol/oxyde de zinc.

Qu’en est-il des empreintes numériques ?

Il existe différentes possibilités comme celle de dupliquer les anciennes prothèses pour s’en servir comme PEI (figure 7). Cependant, les empreintes secondaires restent anatomo-physiologiques, donc en empreintes physiques.

Rapports intermaxillaires

La séance d’enregistrement du rapport intermaxillaire a pour but de fournir le maximum d’informations au laboratoire afin qu’il puisse procéder au montage des dents artificielles. À l’aide des maquettes d’occlusion fournies, on essaie de rechercher et d’enregistrer la position privilégiée de la mandibule par rapport au maxillaire. En l’absence de dents, cette position ne peut être qu’à référence articulaire : c’est la relation centrée.

Le prothésiste doit réaliser des maquettes stables, rigides et si possible rétentives. L’idéal étant qu’elles soient en résine et non en cire.

Les bourrelets sont montés dans les aires de tolérance antérieure (= aire d’Ackerman) et postérieure (= aire de Pound).

Cliniquement, le réglage se fait en plusieurs temps :

  • Réglage du maxillaire en commençant par la zone antérieure. Le bourrelet doit être parallèle à la ligne bipupillaire et assurer un soutien correct de la lèvre. La longueur est également déterminée (lèvre au repos, le bourrelet doit affleurer ou légèrement dépasser) et contrôlée grâce à la phonation en faisant prononcer le « F » et le « V ». La partie postérieure du bourrelet est ensuite réglée avec la Règle de Fox qui doit être parallèle au plan de Camper. Une fois réglé, on ne touche plus à la maquette maxillaire.
  • Détermination de la dimension verticale d’occlusion (DVO). Chez l’édenté complet, la DVO n’existant plus, c’est la dimension verticale au repos (DVR) qui est utilisée pour l’évaluer. On prend alors le rapport DVR – 2 mm = DVO. Les 2 mm correspondant à l’espace libre d’inocclusion. Une fois les bourrelets réglés à cette hauteur, il faut vérifier esthétiquement que la DVO n’est pas sous ou surévaluée. Enfin, un contrôle phonétique est effectué.

Exemple de DVO surévaluée : les lèvres se joignent difficilement.

• Enregistrement de la relation centrée (RC). Cette position est guidée et sans contrainte. Elle correspond à la position la plus haute et la plus médiane des processus condyliens dans les cavités glénoïdes. Cliniquement, l’enregistrement est réalisé en faisant des chevrons au maxillaire et en positionnant de l’Aluwax à la mandibule. Le patient est assis, détendu et on lui fait réaliser des mouvements de petites amplitudes. Ne jamais forcer, l’enregistrement doit être stable et reproductible.

La séance se termine en traçant les déterminants esthétiques antérieurs sur le bourrelet antérieur (milieu interincisif, pointes canines et ligne du sourire) (figure 8) et en choisissant la couleur et la forme des dents. Pour la forme, des indications peuvent être données ou des photos du patient peuvent être envoyées au prothésiste.

Montage et essai clinique

Les dents sont montées de manière à respecter les courbes de compensation (Wilson et Spee). L’occlusion finale doit être bilatéralement équilibrée avec une béance antérieure.
Au cabinet, les critères esthétiques et les tests phonétiques sont vérifiés. En cas de problème important au niveau du montage, un articulé de Tench est réalisé.

Durant cette séance, le joint vélo-palatin est également affiné. Une fois évalué, il est marqué sur le modèle en grattant plus ou moins en fonction de la dépressibilité (figures 9a et b).

Remise et conseils

L’occlusion est de nouveau vérifiée et les derniers réglages sont réalisés.
La séance se poursuit et se finit en donnant des conseils en termes d’entretien et de mastication :

  • pour le nettoyage, il doit se faire quotidiennement avec une brosse à dents spécifique et du savon (mieux que le dentifrice qui va rayer la prothèse au fil du temps). Une fois par semaine, il est également recommandé d’utiliser des pastilles à détartrer ou du vinaigre blanc dilué à 50/50 avec de l’eau ;
  • pour la mastication, on parle de rééducation masticatoire. Elle doit être bilatérale avec une introduction progressive de particules de plus en plus grosses et de plus en plus dures. L’incision est impossible.
    Idéalement, ces conseils sont dits à l’oral et remis à l’écrit. Enfin, les rendez-vous de contrôle sont programmés afin de traiter les éventuelles doléances.

 

Conclusion

Les clés du succès d’une prothèse amovible complète sont multiples et interviennent à toutes les étapes, que cela soit au cabinet ou au laboratoire de prothèse. La communication avec ce dernier est donc primordiale et le praticien se doit de maîtriser chaque séance clinique. Enfin, savoir réaliser une prothèse amovible de qualité est un prérequis indispensable en implantologie puisque la prothèse complète fixée sur implants doit toujours être précédée par un montage directeur amovible. Il servira de guide radiologique, permettra la planification et éventuellement la réalisation d’un guide chirurgical.

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Prothèse amovible complète

À propos de l'auteur

Aude Ménard

Formation E-learning DPC

Dernière mise à jour le 20 décembre 2024