Modalités de prescription des antibiotiques par les chirurgiens-dentistes

En médecine bucco-dentaire, le praticien est sans cesse confronté aux difficiles problèmes de la prévention et du traitement de l’infection et porte le plus vif intérêt aux antibiotiques qui constituent une arme à double tranchant. En effet, leur efficacité, leur facilité d’emploi, le souci du confort du patient ainsi que la crainte d’accidents infectieux peuvent conduire à des prescriptions trop fréquentes. Pour guider les consœurs et confrères dans leur utilisation, nous avons souhaité initier une rubrique sur ce thème, coordonnée par Arnaud Lafon. Dans ce premier opus, il « pose » le débat en présentant les résultats d’un questionnaire distribué durant l’ADF 2017.

Résultats d’une enquête menée en novembre 2017

État des lieux sur la prescription des antibiotiques

La France fait toujours office de mauvais élève en termes de prescriptions d’antibiotiques. Leur banalisation en odontologie entraîne des situations où ils sont prescrits par crainte d’un contexte infectieux parfois purement imaginaire. Ce risque de surprescription creuse les déficits de la Sécurité sociale et augmente l’apparition de résistance bactérienne. Chaque année en France, 12 500 décès sont liés à une infection aux bactéries résistantes aux antibiotiques. À l’échelle mondiale, les résistances microbiennes seraient actuellement responsables de 700 000 morts par an. En France, si la consommation d’antibiotique a augmenté de 48 % entre les années 1980 et 1990, la campagne de sensibilisation des années 2000 – « les antibiotiques, c’est pas automatique » – a permis une baisse de près de 20 % de la prescription jusqu’en 2004. Malheureusement, la consommation augmente de nouveau et les dégâts se font déjà ressentir. Les cas de décès de patients suite au non-contrôle de bactéries multirésistantes en témoignent.

L’odontologie est confrontée, comme les autres disciplines chirurgicales, aux résistances bactériennes. Les deux principales bactéries citées dans la bibliographie sont Staphylococcus aureus et Pseudomonas aeruginosa. En Italie, une patiente ayant contracté une infection pulmonaire à Pseudomonas aeruginosa est décédée. L’étude a montré que cette infection avait été contractée dans un cabinet dentaire par une contamination à Pseudomonas du système d’irrigation.

Le décès d’un confrère chirurgien-dentiste des suites d’une pneumopathie à légionelle contractée après un soin chez un patient porteur rappelle la nécessité de la maîtrise du risque infectieux par une bonne asepsie, et ce, avant toute antibiothérapie.

La prescription médicale d’antibiotiques doit être argumentée et réfléchie selon le terrain, le contexte infectieux locorégional et enfin le geste chirurgical, souvent suffisant. La responsabilité du praticien et de son patient est en jeu pour reculer la fin des antibiotiques et le triomphe des bactéries. Ne perdons pas de vue que l’ordonnance engage la responsabilité du praticien. C’est pour cela qu’une attitude préventive fondée sur un bon interrogatoire médical et une bonne connaissance du terrain (allergie, éventuelle interférence médicamenteuse, insuffisance rénale ou hépatique, intolérance digestive) ainsi que le suivi à 48 heures sont indispensables pour s’assurer de l’efficacité du traitement, éviter les erreurs et limiter le risque de résistance bactérienne.
Un programme ministériel a été lancé en novembre 2017 afin de favoriser l’innovation pour maîtriser l’anti­biorésistance. Les probiotiques représentent une piste thérapeutique. Contrairement aux modes d’action des antibiotiques qui détruisent ou inhibent la croissance bactérienne, les probiotiques favorisent le développement de micro-organismes symbiotiques exerçant une compétition et une exclusion compétitive des bactéries pathogènes. Ils limitent ainsi la prolifération bactérienne en favorisant la mise en place d’une flore symbiotique. Ils peuvent aussi être utilisés pour le traitement des déséquilibres de la flore intestinale provoqués par l’utilisation d’antibiotiques à très large spectre (par exemple : clindamycine, association amoxicilline-acide clavulanique).

Les chirurgiens-dentistes ont-ils un bon usage des antibiotiques ? Maîtrisent-ils les risques et les effets indésirables de l’antibiothérapie ?
Afin de répondre à ces questions, un questionnaire a été établi par L’Information Dentaire et distribué aux praticiens lors de l’ADF 2017. 350 réponses ont été recueillies et sont ici analysées.
 

Objectif

Le but du questionnaire était d’établir un état des lieux sur le mode d’utilisation des anti-infectieux par les chirurgiens-dentistes (type de molécules, modalités de prescription). La connaissance, l’utilisation et la prise en charge des effets indésirables sur l’équilibre de la flore intestinale par les probiotiques ont aussi été étudiées.

Analyses des réponses

• Modalités de prescription des antibiotiques

Les résultats révèlent une disparité importante. La majorité des réponses (22 %) montre que les antibiotiques sont prescrits soit à raison de 2 à 3 prises par jour, soit 2 fois par semaine durant plus de 5 jours pour 68 % des réponses. Puis 21 % des participants prescrivent une prise d’antibiotiques par jour, 17 % moins d’une prise par semaine. La durée de prescription est établie à 5 jours (25 % des réponses) et tout de même près de 5 % sur une période inférieure à 5 jours.

• Types de molécules prescrites

L’amoxicilline, seule (85 %) ou associée au métronidazole (21 %), est la molécule la plus prescrite. Les associations spiramycine-métronidazole puis amoxicilline-acide
clavulanique suivent pour respectivement 19 et 12 % des prescriptions d’antibiotiques.

• Tolérance digestive aux antibiotiques

93 % des praticiens demandent à leurs patients s’ils sont intolérants aux antibiotiques et 60 % connaissent les conséquences à long terme sur la flore intestinale.

Discussion

• Règles de prescription des antibiotiques

Afin d’assurer son efficacité, la prescription d’un antibiotique doit mentionner au moins 5 jours de prise. Cette durée peut être prolongée si les signes infectieux n’ont pas complètement disparu au terme de ces 5 jours. La fréquence de prise est de 2 à 3 fois par jour. Elle est à adapter selon la demi-vie de la molécule et l’état physiologique du patient (espacer les prises ou diminuer la dose de chaque prise en cas d’insuffisance rénale).
Le non-respect de ces règles est préjudiciable à l’efficacité des molécules. Les résultats du questionnaire sont édifiants, car 17 % des participants prescrivent des antibiotiques avec moins d’une prise par semaine et près de 5 % sur une période de moins de 5 jours.

Plus de 700 espèces bactériennes buccales composent l’un des microbiomes les plus complexes et divers du corps humain. En fonction du terrain et de la virulence bactérienne, une manifestation infectieuse locale peut, directement ou dans un deuxième temps, engendrer une infection loco-régionale, générale et une bactériémie. Un choc septique peut alors se développer avec des bactéries multirésistantes d’origine dentaire.

Le choc septique à porte d’entrée dentaire est le plus souvent issu du développement d’une infection à distance au niveau cardiaque, cérébral, rénal ou pulmonaire. L’infection des matériaux endogènes par une bactérie issue d’un foyer dentaire tels que les prothèses cardiovasculaires ou orthopédiques (plaques d’ostéosynthèses, prothèses de hanches, genoux, épaules), les cathéters, les shunts artério-veineux du patient dialysé ou les chambres bio-implantables sont particulièrement à risque d’infection et d’évolution vers un choc septique incontrôlable en cas de bactéries multirésistantes.

Les populations touchées sont hétéroclites du fait de la diversité des situations médicales retrouvées, du patient âgé hospitalisé au jeune patient atteint d’une cellulite odontogène. Les chocs septiques à point de départ dentaire sont en augmentation et représentent un coût sanitaire et humain important.

• Type de molécules prescrites

La penicilline est plébiscitée dans la prescription d’antibiotiques, avec 85 % des prescriptions, selon les résultats de l’étude. La spiramicine associée au métronidazole arrive en deuxième position et représente 21 % des prescriptions.

Ces résultats sont en accord avec les recommandations, en rappelant toutefois que le recours systématique à l’association spiramycine-métronidazole est à éviter et à réserver à certaines situations. En effet, l’action anti-streptococcique de la spiramycine est inférieure à celle de la pénicilline et il n’est pas toujours utile d’y associer des anti-anaérobies. De façon générale, il convient de privilégier les anti­biotiques anti-streptococciques tels que les pénicillines avec éventuellement une association avec le métronidazole en cas d’infection anaérobie associée. Les β-lactamines sont les antibiotiques de référence en odontologie du fait de leur large spectre, de leur bonne tolérance et de leur faible interaction médicamenteuse et absence de contre-indications. L’amoxicilline représente la molécule la moins coûteuse avec un prix journalier de traitement d’environ 1 e. Le principal inconvénient est l’allergie par la présence du noyau β-lactame dans les différentes sous-classes des β-lactamines. La fréquence est inférieure à 1 % chez les sujets atopiques.

Les résultats du questionnaire révèlent que l’association amoxicilline-acide clavulanique représente 17 % des prescriptions. C’est un score très élevé car cette association ne doit être prescrite qu’en deuxième intention, c’est-à-dire après l’échec d’un traitement à la pénicilline par exemple. Le spectre de cette association est très large et favorise les intolérances digestives. Cette association est particulièrement efficace sur les germes anaérobies à Gram(-) productrices de β-lactamase (Bacteroïdes, Fusobacterium nucleatum, Porphyromonas gingivalis).
Les résultats ne font pas ressortir la prescription de macrolides apparentés. Pourtant, la clindamycine peut être utilisée en deuxième intention en cas d’allergie à la pénicilline et pour remplacer une association amoxicilline + métronidazole ou amoxicilline + acide clavulanique. Elle a l’inconvénient d’avoir des effets indésirables tels que le risque de colite pseudomembraneuse.
La spiramicine seule peut aussi être utilisée. Son spectre est plus étroit, mais elle est appréciée pour sa bonne diffusion tissulaire et surtout salivaire dans le traitement des parotidites ou des sous-maxillites par exemple. Cette molécule présente peu de contre-indications et d’effets indésirables. Son utilisation est recommandée en cas d’allergie aux penicillines, notamment pour la femme enceinte ou allaitante.

Probiotiques, une alternative aux traitements antibiotiques

Les résultats de l’étude montrent une connaissance des effets indésirables des antibiotiques et des probiotiques pour 60 % des praticiens. Ce résultat est évidemment biaisé par le fait que les participants sont des congressistes de l’ADF. Il est probable qu’ils soient plus à même de connaître les avancées sur l’utilisation des probiotiques en complément ou en remplacement des anti­biotiques. Le bon réflexe n’est pas de penser en premier lieu aux antibiotiques. Le clinicien doit d’abord s’assurer de l’origine bactérienne de l’infection. Le diagnostic différentiel doit être fait avec les affections virales, mycosiques ou parasitaires. Le volet préventif concerne toutes les mesures permettant de limiter la genèse d’une bactériémie (contrôle de plaque, antisepsie, probiotiques).
Ce mode de réflexion s’explique par le mode d’action des antibiotiques. L’intervention des antibiotiques ne permet pas de suppléer les défenses immunitaires pour faire régresser l’infection locale, surtout si celle-ci est causée par un déséquilibre du microbiote buccal.

L’antibiothérapie doit être accompagnée d’un geste local visant à désorganiser le biofilm bactérien. Car, à l’inverse, une antibiothérapie peut engendrer la sélection d’une communauté microbienne opportuniste par le déséquilibre de la flore commensale, mais aussi la sélection de bactéries résistantes. Ainsi, la notion de charge bactérienne est importante à définir. Elle s’évalue cliniquement par le relevé de l’indice de plaque ainsi que l’indice gingival. Le contrôle de plaque, les gestes de drainage et d’antisepsie sont à prioriser. Le non-­respect de ces précautions élémentaires rendra caduque l’efficacité d’un traitement antibiotique et favorisera les résistances bactériennes. En effet, la fréquence des bactériémies d’origine dentaire est quotidienne et est accentuée en présence d’un mauvais état bucco-dentaire. Les probiotiques peuvent contribuer à recréer les équilibres et à soigner des infections buccales telles que les parodontites, les péri-implantites, les mycoses ou l’halitose.

Conclusion

Le clinicien doit avoir une utilisation justifiée et raisonnée des antibiotiques au niveau du bénéfice/risque de chaque molécule afin de limiter les résistances. Les impératifs médico-économiques doivent aussi être respectés par le choix d’un traitement efficace au meilleur prix. Si l’indication est posée, le choix de l’antibiotique se fera en fonction de sa diffusion dans la zone infectée, de la sensibilité des germes, de leur localisation, de l’état physiologique du patient, des éventuelles affections dont il souffre et des traitements auxquels il est soumis. Le prescripteur devra s’assurer que le traitement antibiotique sera pris jusqu’au bout. Le respect du protocole de prise est impératif. Il doit répondre à des règles simples telles que le suivi de l’efficacité du traitement, une prise d’au moins 5 jours, un arrêt franc et brutal à la disparition des symptômes.

Le coût de la prise en charge de l’antibiorésistance est de plus en plus lourd. Les séquelles physiques et sociales qui en découlent sont aussi élevées.

L’approche doit être de plus en plus orientée vers la prévention et le suivi régulier afin d’agir en amont et d’éviter ainsi l’utilisation des antibiotiques. L’avènement des probiotiques a aussi un rôle majeur de prévention auprès des patients. Leur utilisation a un réel intérêt et montre des résultats prometteurs.

Éléments essentiels à connaître avant la prescription d’antibiotiques

• Appuyer l’interrogatoire et l’examen clinique permettant d’identifier les signes infectieux
ou le terrain médical indiquant la nécessité de prescrire un antibiotique.
• Avoir une attitude réfléchie pour choisir l’antibiotique adapté selon le terrain médical du patient, pour connaître le bénéfice/risque de l’utilisation de telle ou telle molécule, le type d’infection.
• Constituer une approche raisonnée dans l’utilisation des antibiotiques afin de limiter l’antibiorésistance.
• Développer une approche préventive ciblée aux sujets à risques infectieux (âge, habitudes de vie néfastes, déficit immunitaire) en éradiquant les foyers infectieux et en instaurant des contrôles parodontaux réguliers.
• Connaître l’utilisation des probiotiques pour améliorer le résultat de nos traitements parodontaux. Elle s’effectue par inhibition directe des bactéries pathogènes, par la modulation de la réponse inflammatoire et l’amélioration du microbiote buccal.

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Approfondissez la thématique en suivant la formation du Pr Anne-Gaëlle CHAUX & Dr Arnaud LAFON :
Prescriptions médicamenteuses

Bibliographie

  • Référentiels conférence d’experts – Texte court 2004. Antibio­thérapie probabiliste des états septiques graves. Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation. Disponible sur internet : http://sfar.org/wp-content/uploads/2015/10/2_AFAR_Antibiotherapie-probabiliste-des-etats-septiques-graves.pdf.
  • Référentiels conférence d’experts – Texte court 2012. Prise en charge des foyers infectieux bucco-dentaires. Société Française de Chirurgie Orale. Disponible sur internet : http://societechirorale.com/documents/Recommandations/recommandations_foyers_infectieux_texte_court_1.pdf

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Dernière mise à jour le 14 juin 2024